Saturday 11 August 2012

L'éléphant dans la pièce

Depuis le début de la campagne électorale au Québec, les partis politiques ont parlé de santé, d’éducation, d’économie, de ressources naturelles et de corruption, mais très peu de l’état de nos finances publiques.

C’est l’éléphant dans la pièce.

Il est évidemment plus vendeur et moins périlleux pour les partis politiques de promettre de nouvelles dépenses, subventions et crédits d’impôts de toutes sortes que de fournir un portrait réel des défis auxquels le Québec fait face sur le plan du redressement de ses finances publiques.

En période de surplus budgétaire et de croissance économique, le débat porte essentiellement sur la répartition de la richesse. Mais lorsqu’on se trouve en situation de déficit structurel et que l’économie mondiale est en période de turbulence intense, le débat se déplace sur le rôle que peut jouer l’état dans la création d'emplois et de la richesse et comment il compte gérer les deniers publics.

Au-delà des chiffres, le débat sur les finances publiques est crucial parce qu’il nous informe sur les choix économiques et sociaux que nous proposent les formations politiques. Il permet aussi de comparer les différentes philosophies économiques de ces derniers (austérité versus stimulation de l'économie en injectant des fonds publics, rôle de l'état, etc)
Dans une chronique parue dans le Journal de Montréal samedi, le fiscaliste Luc Godbout s’inquiète à juste titre des promesses de dépenses des partis politiques faits dans la présente campagne alors que le Québec est dans le rouge depuis cinq ans.
Douze jours après le déclenchement des élections, AUCUN des trois principaux partis n’a en effet encore dévoilé son cadre financier. Pour l’instant, il est donc difficile, voire impossible, de savoir si les différentes promesses de nouvelles dépenses sont crédibles dans une optique ou les trois principales formations politiques disent souhaiter un retour éventuel à l’équilibre budgétaire.
Quel est donc l’état de nos finances publiques, dans les grandes lignes?
Le gouvernement du Québec est en situation déficitaire depuis cinq ans (l'an dernier, le déficit se chiffrait à 3 milliards de dollars). Comme la plupart des provinces (et des pays), il a augmenté ses dépenses en période de difficultés économiques. Le problème n'est pas tant le déficit actuel, mais la dette, qui s’élève dorénavant à $183 milliards. À 55% du PIB, le niveau d'endettement du Québec est très élevé.

Nous ne sommes pas encore la Grèce (147%), ou même les États-Unis (61%), mais la courbe sur laquelle nous nous trouvons est alarmante. En comparaison, la dette du gouvernement du Canada ne représente que 36.1% du PIB. Comme l'explique le chroniqueur Michel Girard de La Presse, si on ajoute les dettes des municipalités, des universités, d'Hydro-Québec et des autres entreprises gouvernementales, la dette de l'état québécois atteint 249 milliards de dollars. Pourquoi devrait-on en tenir compte? Parce que c'est le gouvernement du Québec qui garantit totalement l’ensemble de ces dettes. Cela représente une dette totale de 30 888$ pour chaque Québécois…
En 2011-2012, les Québécois ont déboursé 11 milliards de dollars pour assumer les intérêts sur leur dette. 28 millions de dollars PAR JOUR.  En soi, cela représente le troisième plus important poste de dépenses après la santé et l’éducation. Sur chaque cent dollars qu’il dépense, le gouvernement du Québec en affecte quinze pour rembourser les intérêts de sa dette. Sa marge de manœuvre n'est donc pas très grande. Plus la dette s’alourdit, plus la marge de manœuvre est réduite. C’est ce qui se passe dans la majorité des pays européens en ce moment. Imaginez-vous quand les taux d’intérêts recommenceront à augmenter. Ce sera catastrophique pour nos finances publiques.
A elles seules, la santé et l’éducation représentent 70% des dépenses de programmes (dans un ratio de 45-25). Au cours des sept dernières années, les dépenses en santé ont augmenté en moyenne de 6%, en éducation de 4% et en transport, de 9%. Il n’y aucune raison de croire que ces augmentations ne continueront pas au cours des prochaines années. La population est vieillissante, le réseau routier se dégrade, les frais de scolarité n’augmentent pas assez rapidement pour combler l’écart des coûts grandissants que doivent assumer les universités. Je n’aborde même pas la question du financement des régimes publics de retraite, qui est un enjeu majeur pour nos finances publiques. 

Sur le plan des dépenses, à moins de tout saccager, il n'y a donc pas de miracle à faire. Après la dette, les grandes missions de l'état et les salaires des employés du secteur public, il  reste des miettes.
Il ne s’agirait donc que d’augmenter les revenus de l’état québécois, admettront même les moins perspicaces d’entre nous.
Ce n’est pas si simple que cela.
Le gouvernement québécois affichait des revenus de 65 milliards de dollars l’an dernier. De ce chiffre, $15 milliards provenaient des transferts fédéraux (23%). Le gouvernement Harper a déjà annoncé que dans deux ans, les transferts seront indexés. Les autres $50 milliards provenaient de revenus autonomes : les impôts des particuliers ($18 milliards pour 27% des recettes totales), la TVQ, les impôts des sociétés et les revenus de ses entreprises telles qu’Hydro-Québec, Loto-Québec et la SAQ.
Les Québécois sont les plus imposés en Amérique du Nord. Aucun parti politique ne sera jamais assez suicidaire pour proposer une hausse d’impôts des particuliers. Taxer les riches davantage ? Au Québec, 115 672 personnes font plus de 130 000$ par année, et 28 952 gagnent plus de 250 000$. Seulement 4 % des contribuables gagnent plus de 100 000$ par année, et ils paient déjà 33% de tous les impôts. On ne remplira pas les coffres de l’état de cette manière.
Pour rester attrayant pour les entreprises, le gouvernement ne peut pas augmenter les impôts des sociétés non plus. Les redevances sur les ressources naturelles deviennent donc une source de revenus potentiellement intéressante. Mais comme l’explique très bien l’économiste Martin Coiteux et Pierre Duhamel dans l’Actualité, il y a des bémols importants à poser à ces élans d’optimisme. En un mot, le Québec ne deviendra pas l’Alberta, mais s'il fait bien les choses, il pourra effectivement s'enrichir davantage grâce à l'exploitation de ses ressources naturelles.
La CAQ demande aux Québécois de lui donner un mandat pour faire le « ménage ». Il promet des réductions d’impôts, de s’attaquer à la dette, de réinvestir en éducation et en santé. Pour y arriver, il ferait un "grand ménage" dans la bureaucratie. On a déjà entendu cela, non ? Le PLQ mise sur le Plan Nord et la création d’emplois, mais la demande mondiale pour les minerais est chancelante entre autres en raison des problèmes économiques que vivent l’Asie et l’Europe. Le PQ veut taxer les plus riches davantage. Pour lui, l’état reste le principal instrument d’intervention économique. C’est comme si on était toujours dans les années soixante.
Sur le plan des finances publiques, les défis du Québec sont considérables. Ils ne sont pas insurmontables, mais ne nous leurrons pas : les solutions simplistes et instantanées ne suffiront pas. Il est à souhaiter que d'ici le 4 septembre, les trois partis qui aspirent à former le prochain gouvernement nous fourniront un cadre financier crédible et rigoureux. Les Québécois pourront alors faire un choix éclairé.


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